EXTRAITS : l’incroyable voyage de madame bonbons

Ces extraits offerts vous permettront de vous imprégner de cet ouvrage, au gré de quelques pages ...
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CHAPITRE 1 :
Une enfance au grand air

    CHAPITRE 2 : 
Une heureuse
surprise

 De l’insouciance à la souciance

 

Aux prémices de la Grande Guerre est née le 7 décembre 1914, Maria, Théodosia, Victoria, dont les trois prénoms claquent dans le palais, comme pour annoncer l’arrivée d’une Reine. Ils sont humblement portés par une seule femme qui comptera triple toute sa vie, la petite Marinette. Ce beau bébé, qui n’est toujours pas le garçon tant attendu, éclaire le jour de sa naissance, cette pauvre famille d’agriculteurs-éleveurs. Ils sont maintenant cinq, installés dans une minuscule ferme humide sur les coteaux à la limite du Gers et de la Haute-Garonne. Trois et quatre ans plus tôt sont nées deux sœurs, mais pas de garçon pour ‘’prendre la suite’’ du père. C’est un solide gaillard dur à la tâche qui ne compte jamais les heures et qui ne sait comment faire, avec ses modestes revenus, pour gâter ses trois filles dont il est fou et fier. Oui en 1914, on pouvait être agriculteur, parfois bourru, probablement rustique sur certains sujets, mais demeurer aussi un papa aimant, tendre et bienveillant, malgré l’absence d’un petit mâle dans cette  »portée de pisseuses ». Un garçon aurait pu arriver, mais il n’a pas poussé de cris à sa naissance trop prématurée à cinq mois, le couple en a souffert longtemps d’une profonde peine. En 14, malgré ce manque crucial pour un homme solide de la campagne, mon arrière-grand-père Léon Carrère, a su avec élégance ne jamais faire ressentir à ses trois filles qu’elles n’étaient malheureusement que des femmes. Elles resteront d’abord ses trois petites reines, Jeanne, Aurélie et Marinette. Leur maman Éléonore, plutôt taiseuse et très effacée, sait toutefois se faire entendre et respecter. Elle n’est jamais reléguée aux basses besognes par son Léon de mari, qui la respecte aussi et d’ailleurs, il vaut mieux pour lui. Éléonore ne recule devant rien, mais n’accepte certains travaux que si elle en a envie. Marinette héritera d’une partie de ce caractère, tout en étant bien plus souple, ouverte aux gens et au monde. Mon arrière-grand-mère cependant, accompagne son Léon en tout point, tant elle l’aime et lui dit oui à presque tout. Dure à la tâche elle aussi, Éléonore garde la maison en bon ordre et travaille dans les champs ou bien sort les bêtes. À l’époque, la priorité est là, avant l’humain, même si leurs ‘’petites reines’’ valent de l’or. Très tôt d’ailleurs, elles sont invitées à aider, d’abord pour de simples tâches intérieures ou bien pour cueillir les œufs au poulailler. Puis en grandissant, elles s’occuperont des chèvres, plus tard des cochons, puis des vaches.
Mais au début de l’adolescence, elles aident obligatoirement Papa et Maman aux travaux des champs, en bref une vie saine au grand air. Une vie rude et simple, sans stress, qui débute à l’aube au chant du coq et finit à la tombée du soleil. Tous fatigués, ils sont heureux de partager les produits de la ferme et surtout ce luxe quotidien et si nourrissant : l’amour total, les uns pour les autres. Mais aussi l’amour de Dieu, rythmé par les prières du soir et du dimanche à la messe de l’austère et psychorigide curé de la paroisse. Bien sûr, la partie habitable de cette petite ferme, composée de deux grandes pièces assez humides, commence à devenir petite pour cinq personnes. Un large couloir sépare la cuisine d’une très grande chambre, au milieu de laquelle trônent en continuum, deux grandes armoires normandes inversées. Elles créent une longue séparation presque intime, qui repousse les lits dans les angles, eux-mêmes séparés d’un paravent en toile de jute défraîchie, capitonnée et tachée d’humidité ambiante. Les ablutions se font à la cuisine, pudiquement derrière d’autres paravents. Pour les besoins pressants à l’extérieur, c’est aussi nature que difficile par tout temps dans un étroit cabanon en bois. Par bonheur, pour la nuit, le ‘’jules’’ attend sagement au pied du lit ou devant l’évier en terre cuite. Durant l’hiver ainsi qu’une bonne partie du printemps, la cheminée réjouit et assainit la maison, tous se regroupent autour de l’âtre et les repas se mijotent dans une rustique cuisinière en fonte noire, alimentée de buchettes. Avant le coucher des filles prévu à 20 heures, Éléonore glisse sous les draps dix minutes avant, le ‘’moine’’ brûlant, cadre cintré en bois, muni d’un petit réchaud plein de braises. C’est Léon qui le retire ensuite afin d’éviter un accident, puis le glisse encore chaud dans leur lit d’amour et de repos bien mérité. L’époque et les conditions de vie ou de survie très sommaires, proches d’une forme d’esclavage surtout pour les femmes, incitent les couples à se coucher tôt, ce qui répond en partie, à une natalité débordante. Évidemment, d’autres raisons les stimulent à agrandir la famille, l’amour de Dieu d’une part, c’est évident. Mais il faut surtout des bras masculins pour la ferme ou bien pour l’usine, qui permettront aux enfants de 8, 9 ou 10 ans de ramener si jeunes, un maigre viatique à la maison, afin de faire ‘’bouillir la marmite’’. Par ailleurs, les allocations familiales n’existent pas, ce n’est donc pas la motivation pour enfanter. De plus, aucun moyen contraceptif ne permet de réguler l’arrivée massive des bambins. L’exception sinistre, assassine et souvent mortelle pour les jeunes femmes, reste l’aiguille à tricoter de la ‘’faiseuse d’anges’’ du quartier, ou bien celle de la cousine Berthe, quelle époque épique ! Durant cette période, il y a donc pléthore d’enfants ainsi qu’une mortalité infantile galopante, provoquant une vraie catastrophe sanitaire, hécatombe déjà causée par l’hygiène déplorable en France, tous milieux confondus et partout dans le monde. D’autres facteurs sont responsables de cette lourde mortalité infantile, l’excès d’alcool des parents, la maltraitance familiale et la malnutrition. Il est clair que le travail dur trop précoce pour les très jeunes, les épidémies, la tuberculose, le botulisme ou autres maladies des très pauvres, entassés dans la même pièce mal ventilée, ont causé des dégâts considérables. Heureusement, bien des années après, le planning familial agira vers une régulation à la baisse. Belle découverte, la pilule amplifiera cette tendance dans la sécurité pour les trop jeunes filles, les jeunes femmes et les mamans, non désireuses d’enfants en supplément à table. Marinette et ses sœurs ont eu la chance de naître dans un nid relativement confortable, un peu humide certes, mais au cœur d’une atmosphère remplie d’amour, où l’on pouvait manger à sa faim ou presque, suivant les périodes. C’est un nid à peu près douillet, où les parents progressistes anticipent et tentent jour après jour d’épargner chaque ‘’sou’ ou le moindre billet. Offrir le meilleur demeure leur crédo en transmettant déjà leurs gènes de vitalité, de bonne constitution et leurs valeurs au travail, sérieux, ce qui permettra à toutes les trois, de vivre jusqu’à un âge très avancé. L’enfance s’est donc parfaitement déroulée, cependant Marinette comme des millions de gens alors, a été atteinte de tuberculose dans sa huitième année, un fléau pour l’époque…

Début d’alignement des planètes
 
Pour calmer les tensions de novembre avec un horizon plus clément, les fêtes de Noël arrivent à grands pas et apaisent tout ce chamboulement. Il reste néanmoins très pénible de croiser le regard inquisiteur des ‘’grenouilles de bénitier’’ et leurs chuchotements peu discrets quand Marinette, très rebondie, vend encore ses fromages au marché. La sage-femme, initialement consultée est revenue trois fois pour la préparer à l’évènement et tout semble bien se dérouler. Sauf qu’un beau matin à 9 heures sonnant, à sept mois de grossesse, s’invite par surprise et avec peu de contractions, un beau bébé non ridé, mais tout de même un peu ‘’mirgue’’, petite souris en Occitan. Fatiguée et inquiète de cette naissance prématurée, Marinette se repose, aidée par sa mère et ses sœurs.  En ce 13 mars 1932, Léon est parti serein, très tôt aux champs ce matin. Il s’occupe aussi du bétail et ne se presse pas, d’autant que rien ne présage l’arrivée hâtive du bébé. À son retour précipité vers 10 heures, prévenu par un voisin ayant accouru, Léon est grand-père. Au retour précipité, réjoui autant que surpris, il surgit dans la chambre envahie de femmes, de clameurs et des pleurs du bébé.  En le repoussant de suite vers la porte, Honorine lui intime de sortir quelques instants et lui lance :

  • C’est un ‘’pti’’ gars !

Honorine, la rayonnante sage-femme de Blajan, sera présente toute la journée, car le ‘’petit bout’’ est quand même à surveiller. Léon exulte dans le couloir, enfin un garçon ! Il patiente donc devant la porte dix interminables minutes pour découvrir cette merveille, puis on l’invite à rentrer. À pas de loup, il observe avec tendresse ce cadeau du ciel et sa petite Marinette qui vient de lui échapper à jamais vers le titre honorifique de Maman. Et les larmes aux yeux, il admire longuement ce bébé, ce petit garçon, sa prolongation tant attendue, qui entre enfin dans sa maison. C’est un bébé qui pour l’instant se remet de ses émotions, tendrement calé sur la poitrine de sa mère : 

  • Alors petite… tu l’appelles comment ce pitchoun?

Vingt secondes durant, la nouvelle maman radieuse, savoure sa surprise, fixe amoureusement son bébé et  reste muette pour maintenir le suspens du prénom. Puis elle l’offre aux bras de Léon, à défaut de ceux de Zéphirin, à jamais ‘’aux abonnés absents’’. Assez gauche, Léon s’empare de ce petit paquet bardé de langes, avec la délicatesse et tout l’amour du grand-père qui reçoit un si précieux cadeau. Et comme s’il attendait une réponse depuis toujours, il répète plus fort, avec un sourire béat et ses yeux très brillants de joie, en s’adressant au bout de chou :

  • Alors mon garçon… T’es qui toi

Dans un souffle, très émue, tout en douceur et en reconnaissance, Marinette lui répond avec sa voix d’adolescente devenue mère :

  • Je m’appelle ROBERT!

À la seconde, Éléonore projette un cri strident et fond en larmes, laissant tomber une bassine en cuivre remplie de serviettes blanches, honorées des belles rougeurs purpurines de l’enfantement. Après s’être contenu dix secondes, le visage tremblotant suite au coup de massue sur la tête, Léon éclate en sanglots en serrant sans excès ce trésor, son magnifique cadeau de la vie. Robert, était le prénom choisi à leur mariage pour le futur petit, longtemps espéré, frôlé, mais mort-né à 6 mois, ses petits intestins à l’extérieur. Donc le Robert de Marinette, mon papa, si beau et si vivant à juste 7 mois est une revanche, un vrai cadeau, d’abord accueilli quelques mois plus tôt, comme une charge. Une charge, doublée d’une honte et triplée d’un souci majeur de voisinage avec les sombres boulangers d’en face.  Or, en ce 13 mars 1932, cette charge est allégée, se transforme en revanche sur le sort et devient la nouvelle raison d’être de Léon et Éléonore. Après les pleurs puis les rires, Léon porte fièrement son cadeau, son trophée à bout de bras. Il s’adresse alors à cette ‘’mirgue’’ de Robert et il lui lance en donnant de la voix : 

  • Tu t’appelles Robert Carrère, tu es mon petit à moi, je vais faire de toi un homme, mon petit homme ‘’héhéhé’’! Éléonore, Jeanne, Aurélie, demain faites-vous belles, je demanderai le fiacre à Monsieur le Comte et nous irons à 11 heures à la Mairie de Saint Pé del Bosc pour déclarer mon petit-fils, le tout premier ! Après, nous irons boire l’apéritif au café du village, puis j’offrirai la tournée à tout le monde, et voilà !

Si l’honneur, n’était pas encore entièrement lavé, le soleil est cependant revenu ce jour-là dans la maison, grâce à ce petit préma’, une vraie ‘’mirgue’’ je vous dis. Et bien notre Papa dont je suis fier, nous a prouvé toute sa vie, que malgré une arrivée un peu ‘’pimpon-pimpon’’, il a su devenir un homme solide, costaud, résistant, dur à la tâche, sans jamais se plaindre. Malgré divers soucis et tout comme sa maman, il a toujours pris la vie du bon côté, positif, avec le sourire et plein d’amis. Enfant, il a été énormément chouchouté par son grand-père, vénéré par ses femmes et bien des années plus tard, il m’a dit à quel point il avait adoré son Pépé aux grandes oreilles. Léon, un pépé si généreux et si inspirant, un pépé qui lui avait tout appris et aussi l’amour du bois, car il avait été charpentier dans sa jeunesse. C’est pour lui et grâce à lui que Robert, mon père, est devenu menuisier-ébéniste et qu’il a conservé avec ferveur, quelques outils de son grand-père chéri. Ainsi, après la reconnaissance officielle du petit, Marinette a pu marcher, n’en déplaise aux bigotes,  la tête droite dans le bourg et même dans Saint Pé Del Bosc mais aussi à Ciadoux. Et oui, en 1932, ce sont déjà les prémices des miasmes des réseaux sociaux. L’être humain dans ses profondeurs ou sa noirceur se délecte avec plaisir, de dire ou de faire du mal, pour libérer ses instincts les plus vils, les plus bas et les plus malfaisants. Pourtant, cette plèbe, sans vergogne, s’affiche quand même le dimanche à la messe. L’église est un lieu qui nettoie, qui rend propre et beau, on nous l’a assez répété. Et si en plus, on glisse un ‘’sou’’ dans le tronc en offrande à la Sainte Vierge, on est alors certain, malgré un comportement de sagouin, de s’offrir au paradis, un beau strapontin. Mamie ne nous a jamais ‘’embrumé’’ avec l’église et tant mieux, d’ailleurs jamais elle ne l’a évoqué en bien ou en mal, laissant ce sujet à notre libre arbitre. La rupture tragique avec Zéphirin l’avait peut-être éloignée du sacré, puisqu’elle n’allait à la messe que pour les grandes occasions, gaies ou tristes…

CHAPITRE 3 :
Oh Toulouse modernisme
et cinema

CHAPITRE 4 :
Un souffle 
d’air frais

 

De l’humiliation, elle fait une force

Bien avant le mariage et même avant l’annonce à Léon et Éléonore, le jeune couple avait déjà effectué des démarches pour trouver dès que possible du travail à Toulouse. Il s’y était rendu en train, l’espace de cinq jours, dans le but de se présenter à des bureaux de placement. C’est l’ancêtre successif de l’ANPE, du pôle emploi puis de France Travail, déjà règlementé depuis  70 ans et qui, après visite médicale, permettait de trouver assez vite et parfois le jour même. Marinette n’avait connu que la ferme et quelques ménages et Gabriel, juste des emplois journaliers très fréquents, en mode ‘’tope-là’’, mais à Toulouse la procédure est différente. Le travail ne manque pas c’est une évidence, la ville jouit d’une forte attractivité, du moins au sortir de la crise de 1930, la situation s’améliorant petit à petit. Après s’être présentés ensemble dans plusieurs bureaux, Marinette a la chance de trouver un travail à l’usine pour le lendemain. Pour Gabriel, ce sera à la société des chemins de fer, mais début septembre. La jeune femme a évidemment décliné l’offre, car ils doivent rentrer à Saint Pé où attend le petit Robert et aussi dans quelques semaines, le mariage. Ils sont heureux de  mesurer que les opportunités ne manquent pas à Toulouse, pour vite obtenir un emploi ou bien deux à mi-temps. Ils sont enfin rassurés pour venir s’y installer dès que possible. C’est ainsi qu’une fois mariés, après quelques jours d’état de grâce suivis des adieux, surtout déchirants entre Pépé Léon et le petit Robert, les voilà de retour mi-août à Toulouse. De la gare Matabiau, ils rejoignent à pied le même petit hôtel choisi six semaines plus tôt, rue Gabriel Péri, lors du précédent passage. C’est un hôtel très défraichi, proche de la gare Matabiau, situé au milieu de cette longue rue qui mène du canal du Midi au boulevard Carnot et à la place Wilson, centre-ville. Marinette ne le sait pas encore, mais la rue Gabriel Péri est un croisement des destins et des grandes surprises, elle le découvrira dans une dizaine d’années. Tous les trois vont rester plus que prévu dans cet hôtel désuet et qui sentait la pisse, me dira Mamie. Avec des étoiles plein la tête, débutent à la fois les recherches, mais aussi la volonté de profiter de la beauté de Toulouse, sous le soleil du mois d’août 1935. Le travail de Gabriel débute en septembre à Matabiau à dix minutes à pieds, où il est employé à nettoyer et à désherber les voies. Marinette garde le petit, mais compte bien travailler dès que possible, car la vie en ville coûte nettement plus cher qu’à la campagne, ils s’en doutaient. Elle s’emploie donc, à rechercher simultanément du travail ainsi qu’à dénicher leur  ‘’meublé’, prochain nid d’amour. Pour faire garder Robert pendant ses investigations, elle est aidée par Lucette, une très jeune femme couturière à domicile, fille du primeur à côté de l’hôtel. Appréciant Marinette, elle accepte la mission contre un billet ou deux, pendant que la jeune maman se présente aux bureaux de placement ou à l’improviste, dans les entreprises. En 35, les temps sont difficiles pour tout le monde et les plaisirs toulousains ils y penseront plus tard, vu qu’il faut d’abord faire ‘’bouillir la marmite’’. Pour tout cela, il faut de l’argent donc, elle accepte toutes sortes de ‘’boulots’’, souvent journaliers ou hebdomadaires, parfois plus. L’idée est de tester, çà et là, le temps de bien choisir, afin de se poser sur l’entreprise qui lui fera envie pour longtemps et pourquoi pas, rêver un peu ou beaucoup en un avenir meilleur. Or, si Marinette est idéaliste, elle est aussi très réaliste et n’a que le certificat d’études, niveau insuffisant pour prétendre à un salaire décent. De plus, elle arrive de la campagne, et à la ville, ce n’est pas bien vu, sauf pour être ouvrier. Cependant, comme tout jeune qui débute dans la vie, l’avenir lui appartient, elle croit donc en sa bonne étoile pour trouver un emploi pérenne, original et idéalement bien payé. Avant-gardiste et libre, notre Marinette aurait sûrement adopté aujourd’hui, l’intérim sociétal et galopant du 3e millénaire. Gabriel apprend qu’un collègue de la SNCF va libérer sous peu, un meublé rue Saint Ferréol, parallèle à la rue Gabriel Péri. Après huit semaines d’hôtel un peu glauque, la petite famille s’installe dans cette belle opportunité, un meublé très pratique d’abord pour Gabriel à deux pas de la gare, mais aussi pour Marinette, proche du centre-ville qu’elle affectionne. Un bonheur n’arrive jamais seul, ainsi quelques semaines plus tard, comblée par cette nouvelle vie qui symbolise le modernisme et une touche de luxe comparée à la campagne, elle se sent  intimement différente. Une joyeuse suspicion l’illumine, elle doit vite en faire part à son mari. Son état, ses inconforts et les examens qui ont suivi sont positifs, elle est enceinte, il sera utile de trouver un nouveau nid pour l’année suivante. En effet, les jeunes mariés ne se doutaient pas lors du mariage en juillet dernier à Saint Pé qu’un heureux évènement allait fusionner le soir des noces. Si Robert a été très pressé d’arriver, en revanche le petit Jean, surnommé très vite Jeannot, mon Parrain, a dépassé le terme de presque quinze jours. Il a toujours été dormeur, adorablement contemplatif et douillet, donc in utéro, il prolongeait ses vacances, bien calé au chaud et au plus près de sa maman. Toutefois à sept mois et demi de grossesse, le Docteur Lombard son généraliste, a constaté que la future maman exagérait gravement. Pour lui, elle était trop chargée avec la sacoche en gros cuir, remplie de ‘’Dépêche du Midi’’. Depuis deux mois, Marinette avait accepté ce boulot de longue durée et plutôt masculin, pour vendre à la volée, ce journal emblématique de la région. C’était payé correctement et les lecteurs laissaient souvent des pourboires, elle avait accepté.  Avec les gros yeux, Lombard lui a ordonné sur prescription, de tout stopper net, pour éviter de gros soucis. Il lui a conseillé de préférer les joies du tricot, de la couture ou bien d’écouter Tino Rossi à la radio. Elle lui a rétorqué dans un grand éclat de rire que Tino Rossi était tout indiqué, car il avait tendance à l’endormir. En revanche, dans quelques années, vers 1943-45, comme des millions de femmes, via la radio et les postes à galène, elle tombera sous le charme puissant et rayonnant d’un jeune débutant prometteur, immigré espagnol, Luis Mariano… 


S ‘éloigner, pour mieux se retrouver

En ce début 1946, la vie poursuit son cours agréablement, Gabriel évolue toujours au beau milieu de ses poudres volatiles et probablement toxiques. Marinette est depuis un an déjà à la Cartoucherie, dans le hall du colisage-étiquetage, mais aucune discussion n’explose le soir à table puisqu’ils ont décidé de ne rien évoquer ni sur les poudres, ni sur les cartouches. Au contraire, ils échangent sur divers sujets bien plus légers, sans être souvent d’accord d’ailleurs, leurs analyses divergent mais en fait, ces joutes modérées les amusent. Depuis quelques mois, ils sortent avec ou sans les enfants, chez leurs amis communs ou respectifs et la vie continue ainsi, sans vraiment de discordes, ni d’ailleurs un parfait amour. Ils ont cependant le même goût pour les spectacles en général, mais elle a une ouverture au monde, aux gens et aux différences, à laquelle lui, plutôt étriqué, n’adhère pas tout à fait. Mamie dira bien plus tard qu’il était brave Pépé, mais trop rigoriste. En matière d’exemple, il cite souvent le monde du cirque qui réunit rigueur, endurance, passion et spectacle, ce qui lui ressemble assez. Il aime le cirque, mais elle, reste mitigée, trop impressionnée par le danger immédiat qui peut surgir en piste. Ce milieu ne ‘’l’emballe’’ pas plus que ça. Marinette adore lire, lui non, mais chaque jour avec dévotion, il dévore quand même sa ‘’Dépêche du Midi’’ sans oublier la rubrique nécrologique. C’est ainsi qu’il découvre mi-juillet, un midi à table, en première page sous une tête d’éléphant, un article très enthousiaste :
« Après cinq ans d’absence pour raison de guerre, voici le retour tant attendu du grand, de l’immense, du prestigieux cirque Pinder. Il reprend enfin sa route pour sa tournée 46 avec de nombreux numéros exceptionnels. Il émerveillera, petits et grands comme avant, et mieux encore. Nous l’attendons avec impatience à Toulouse pendant 12 jours en septembre, les dates précises restent à confirmer. »
L’idée fulgurante de s’offrir ce plaisir en famille traverse l’esprit de Gabriel et le submerge car les petits ne connaissent pas le cirque. Par un beau dimanche après-midi Marinette, Robert adolescent et Jeannot, 10 ans, découvrent ainsi, sous un soleil éclatant et fièrement dressé, l’immense chapiteau vert sombre. Bariolé de bandes colorées, monté en 4 mâts en ligne, il est planté dans la ville, sur un terrain vague de l’île du Ramier qui partage la Garonne en deux bras. De vieilles caravanes historiques mais aussi des camions rachetés au surplus américain, l’entourent comme pour le protéger, dans une rigueur militaire, tout est aligné au cordeau. Ils sont repeints de frais en rouge et jaune doré, optimisant ainsi la joie d’être au cirque, qui accueille à l’époque 5000 personnes à presque chaque représentation. C’est la première fois que le jeune couple découvre un vrai grand cirque, toute la ville est placardée d’affiches Pinder, collées sur les murs. Bien sûr, à l’Isle-en-Dodon, à côté du village de Marinette, était passé plusieurs fois un petit ‘’pépino’’ comme on disait autrefois. Mais rien à voir avec Pinder, car il s’agissait de baladins circassiens, sur une petite piste sous une petite bâche avec un seul petit mât et juste cinq petites roulottes en bois. De plus, un ours, un dromadaire, deux poneys et trois caniches dynamisaient l’intérêt et les rires des enfants. Historiquement, il y a eu des centaines de pépinos en France et ce sont eux qui ont souvent semé les graines de la maltraitance animale constatée à juste titre, par les défenseurs de la noble cause. Par leur comportement à géométrie variable, de peu éthique à barbare, ils ont souillé jusqu’à aujourd’hui, l’honneur, la bientraitance et tous les efforts des grands cirques, définitivement englués dans la rumeur et qui ne s’éteindra jamais. Là, en septembre 46 avec Pinder, il s’agit d’un autre monde, d’une autre dimension, du grand, du vrai, du beau cirque, très impressionnant et il le sera bien plus encore au début des années 50. Entrés sous le chapiteau et assis sur les gradins en façade de piste, Gabriel, Marinette, Robert et Jeannot sont captivés en admirant tout ce que les yeux peuvent capter par la  découverte de ce grand cirque de renom à l’immense chapiteau. Durant le spectacle, les trapézistes sous la coupole qui risquent de rater leurs ‘’passes’’, malgré la magnésie blanche sécurisant leurs solides prises en mains, les inquiètent beaucoup. Marinette a peur, ferme les yeux et serre les dents. Jeannot aussi et se blottit contre sa mère. Un tonnerre de rire résonne sous le chapiteau à l’arrivée du groupe de clowns, aux gags enfantins, aux voix tonitruantes et aux cabrioles exagérées. Les sept éléphants d’Asie impressionnent aussi la petite famille, surtout les enfants car jamais vu, sauf sur des gravures de livres scolaires. Gabriel est heureux d’avoir eu l’idée d’offrir cette après-midi de bonheur et de spectacle exceptionnel, alternée par la visite du zoo en dégustant glaces et friandises. Il a tenu à inviter pour la remercier, l’adorable Guéguette, si précieuse à la famille pour diverses raisons, mais elle a décliné car avant-guerre, sous ses yeux, un dresseur de tigres avait été défiguré d’un simple coup de griffes. Depuis, cette image et les cris de douleurs, la hantaient. La deuxième partie du spectacle accueille à nouveau le public, sous le chapiteau rempli de musique faisant résonner les cuivres, les trompettes et la grosse caisse. Un cirque est un festival d’émotions également sur le plan olfactif avec la sciure, l’odeur spécifique des différents animaux, les ‘’barbe à papa’’, les coup de pétards des clowns et le parfum de la dame assise à côté. C’est un vrai bouquet de senteurs qui s’entrechoquent, laissant des souvenirs pour toujours. En revenant sous le chapiteau, la petite famille est surprise de  découvrir comme par magie, une énorme et haute cage à barreaux, sur la piste. Au centre de celle-ci, Monsieur Loyal le présentateur, annonce avec force l’entrée du dompteur, genre belluaire et de ses tigres royaux du Bengale sous une musique arabisante électrisant l’atmosphère. L’adrénaline de Marinette monte en flèche qui pense fort à Guéguette et l’effroi qu’elle a vécu. Elle serre les poings mais demeure subjuguée par la présence magnétique de ces félins, leurs regards vert clair, la beauté et leur puissance électrisée par des rugissements caverneux, ainsi que l’odeur sauvage qu’ils diffusent…

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